L’histoire du prêt d’argent et du crédit est un voyage fascinant qui remonte aux débuts de la civilisation et reflète les transformations économiques, culturelles, et sociales qui ont façonné les sociétés humaines. Les pratiques de crédit ont évolué au fil des millénaires, s’adaptant aux besoins des communautés, aux progrès technologiques, et aux idéologies dominantes de chaque époque. Voici un aperçu détaillé de cette évolution :
1. Les racines anciennes du crédit et du prêt d’argent
- Mésopotamie (3000 av. J.-C.) : Les premières civilisations, telles que celle de Sumer en Mésopotamie, utilisaient déjà des systèmes de crédit. Les tablettes d’argile retrouvées dans cette région témoignent de pratiques de prêt de grains ou de bétail pour les agriculteurs en difficulté. Le « Code d’Hammurabi » (vers 1750 av. J.-C.) est l’un des premiers textes à réguler le crédit : il fixe des limites aux taux d’intérêt et précise les obligations des prêteurs et des emprunteurs. Les taux d’intérêt pouvaient atteindre 20% pour l’argent et 33% pour le grain, montrant un système de crédit pragmatique mais strictement contrôlé.
- Égypte ancienne : En Égypte, le crédit reposait davantage sur l’échange de biens, le troc, et le prêt de terres. Les prêts étaient souvent accordés aux agriculteurs en période de semailles, contre la promesse d’une part de la récolte. Les temples, lieux sacrés et centres de richesse, étaient également des institutions financières importantes qui octroyaient des prêts et géraient des transactions financières au bénéfice de la communauté.
- Grèce antique : Les Grecs développèrent un système de crédit pour le commerce maritime. Les expéditions commerciales à travers la Méditerranée étaient risquées, et les prêts commerciaux à intérêt permettaient aux marchands de financer ces entreprises. Une forme d’assurance maritime fut également créée : les prêteurs n’avaient droit à des intérêts que si le navire arrivait à bon port, une première forme de partage de risque.
- Rome antique : Les Romains utilisaient des pratiques de crédit bien établies et un système bancaire complexe. Le droit romain régulait les dettes et les obligations des débiteurs et créanciers. Le taux d’intérêt légal était limité, mais les tensions sociales étaient courantes en raison de l’endettement des classes populaires. Des prêteurs publics et privés, parfois appelés « argentarii », offraient des services bancaires, et le prêt sur gage était courant.
2. Moyen Âge : interdictions religieuses et innovations financières
- Les interdictions de l’usure : Au Moyen Âge, l’Église catholique interdisait l’usure, soit la pratique de prêter de l’argent contre intérêts, considérée comme moralement inacceptable et comme une exploitation des pauvres. Cette restriction entravait les pratiques de prêt en Europe chrétienne, mais le besoin de crédit restait essentiel, notamment pour le commerce et l’agriculture. Les prêteurs juifs, non soumis aux mêmes lois religieuses, jouèrent un rôle crucial dans le financement et le crédit, bien que souvent stigmatisés et marginalisés.
- Les monts-de-piété : Les moines franciscains, au XVe siècle en Italie, fondèrent les « monts-de-piété » pour fournir des prêts sans intérêts excessifs aux pauvres. Ces institutions offraient des prêts contre des objets de valeur mis en gage, telles que des bijoux ou des outils de travail. Le but était de lutter contre l’exploitation des pauvres par des prêteurs sans scrupules, et ce modèle s’est répandu dans toute l’Europe, devenant l’une des premières formes de crédit social et accessible.
- Lettres de change et banques italiennes : L’Italie de la Renaissance a vu naître des innovations financières pour répondre aux besoins du commerce international. Les lettres de change permettaient aux marchands de transférer des fonds d’une ville à une autre sans transporter de l’argent liquide, limitant les risques de vol. Les grandes familles italiennes, telles que les Médicis à Florence, ont mis en place des banques pour financer les expéditions et offrir des services de crédit, devenant des figures centrales du commerce et de la finance européenne.
3. Développement du crédit et banques modernes à l’époque moderne
- Premières banques publiques : À la fin du XVIe siècle, certaines grandes villes européennes, comme Venise et Amsterdam, fondèrent des banques publiques pour faciliter les échanges et renforcer leur économie. La Banque d’Amsterdam (1609) est un exemple emblématique, proposant des services de dépôt, de prêt, et de transfert. En Angleterre, la création de la Banque d’Angleterre en 1694 marqua un tournant majeur, permettant au gouvernement d’emprunter pour financer ses guerres et son développement.
- Évolution de la dette publique : Au XVIIe siècle, les gouvernements commencent à émettre des emprunts pour financer des projets publics, comme les infrastructures, ou des guerres coûteuses. Cela devient une pratique courante pour lever des fonds rapidement, et les dettes publiques deviennent un instrument financier prisé par les investisseurs. Cette transition marque le début d’une nouvelle ère où les États, à l’instar des particuliers, recourent au crédit pour financer leurs ambitions.
- Révolution industrielle : Au XIXe siècle, la révolution industrielle nécessite des investissements massifs pour construire des usines, des chemins de fer, et des infrastructures. Les banques jouent un rôle clé en fournissant des crédits aux entrepreneurs, ce qui accélère le développement industriel et économique en Europe et en Amérique du Nord. De nouvelles formes de crédit apparaissent, telles que les hypothèques pour financer l’achat de biens immobiliers, et les banques commencent à proposer des produits financiers aux particuliers.
L’argent, cette source de bonheur et de tourments, ne doit être ni trop peu ni trop pour une santé mentale équilibrée . Thomas Gatabazi
4. XXe siècle : crédit de masse et carte de crédit
- Réformes après la Grande Dépression : La crise économique de 1929 et la Grande Dépression qui s’ensuit révèlent les dangers d’un crédit non régulé. Aux États-Unis, le gouvernement adopte des réformes pour réguler les banques et encadrer les pratiques de crédit. Le Glass-Steagall Act de 1933 impose une séparation entre les banques commerciales et les banques d’investissement pour protéger les épargnants.
- Essor du crédit à la consommation : Après la Seconde Guerre mondiale, l’économie de consommation connaît une croissance rapide, et les banques introduisent des produits de crédit pour aider les ménages à acheter des biens comme les voitures, les appareils ménagers, et les maisons. Dans les années 1950, les premières cartes de crédit apparaissent, notamment la carte Diners Club et la carte American Express, permettant aux consommateurs de régler des achats sans argent liquide et de rembourser par mensualités. Ce système se démocratise rapidement avec l’apparition des cartes bancaires Visa et MasterCard.
- Prêts hypothécaires et accès à la propriété : Dans les années 1970-1980, les prêts hypothécaires deviennent plus accessibles, ce qui permet à un plus grand nombre de ménages de devenir propriétaires. Les politiques publiques dans de nombreux pays encouragent la propriété individuelle, et le crédit immobilier devient l’un des secteurs financiers les plus importants. L’accès à des prêts abordables transforme profondément la société et l’économie en facilitant l’accession à la propriété.
5. XXIe siècle : nouvelles technologies et défis du crédit
- L’ère numérique et les FinTechs : Avec l’avènement d’Internet, le secteur du crédit est révolutionné par les FinTechs, des entreprises financières technologiques qui introduisent des innovations comme les microcrédits, le crédit en ligne rapide, et le prêt entre particuliers (peer-to-peer lending). Ces services, souvent basés sur des plateformes numériques, permettent aux emprunteurs d’accéder rapidement aux fonds et élargissent l’accès au crédit dans les régions où les banques traditionnelles sont peu présentes.
- Crise des subprimes et régulation accrue : En 2008, la crise financière mondiale est provoquée par des prêts hypothécaires à risque (subprimes) aux États-Unis. Cette crise met en lumière les risques d’un crédit trop facilement accessible et mal régulé. Les gouvernements et institutions financières renforcent les règles de transparence et de prudence pour éviter les crises futures. Le rôle de l’endettement est remis en question, et les questions de surendettement des ménages deviennent un enjeu majeur.
- Microcrédit et inclusion financière : Le microcrédit, popularisé par Muhammad Yunus et la Grameen Bank au Bangladesh, devient un outil crucial pour l’inclusion financière dans les pays en développement. Il permet à des personnes sans accès aux banques de financer des projets de petite envergure et d’améliorer leurs conditions de vie. Ce modèle est adopté dans de nombreux pays et devient un symbole de lutte contre la pauvreté.
- Cryptomonnaies et crédit décentralisé : L’essor des cryptomonnaies et de la technologie blockchain introduit de nouvelles possibilités pour le crédit. Des plateformes de financement décentralisé (DeFi) permettent aujourd’hui d’emprunter et de prêter sans passer par les banques, en utilisant des cryptomonnaies comme garantie. Ces innovations transforment le paysage financier mais posent aussi des défis en termes de sécurité et de régulation.
En conclusion
L’histoire du crédit est un reflet des progrès et des défis économiques de chaque époque. Aujourd’hui, les prêts et le crédit sont devenus des outils indispensables, accessibles au plus grand nombre, et essentiels au fonctionnement des économies modernes. L’innovation technologique promet d’ouvrir de nouvelles voies pour l’accès au crédit, mais elle exige également une vigilance accrue pour protéger les emprunteurs et éviter les dérives. Le crédit, dans son essence, reste un pilier de la confiance et du développement économique, reliant les individus, les entreprises, et les nations dans une dynamique d’échange et de croissance.